L'anguille

L’anguille est l’un des poissons les plus importants de notre histoire culinaire. Elle est connue des autochtones du Québec depuis toujours. Les Iroquoïens du Saint-Laurent la consommaient déjà au VI siècle de notre ère, selon les études ostéologiques faites par l’université de Montréal sur les sites archéologiques de l’Ouest du Québec. Les peuples algonquiens et les Hurons venaient même la pêcher dans la région de Québec, à chaque automne. C’est que l’anguille est un poisson catadrome qui nait dans la mer des Sargasses, au large de la Floride, mais qui passe le reste de sa vie en eau douce. Elle retourne dans la mer des Sargasses lorsqu’elle veut se reproduire. Sinon, elle remonte les affluents du fleuve pour aller passer l’hiver dans le haut des rivières. Elles s’enfoncent alors dans la vase pour se protéger des grands froids. Mais lorsque les anguilles doivent passer de l’eau douce à l’eau salée pour aller se reproduire ou pour s’en venir dans l’eau douce, en atteignant leur maturité, elles doivent habituer leurs corps pendant quelques semaines avant de changer d’eau ; c’est une question de survie. Or, comme l’eau du fleuve commence progressivement à se saler après l’ile d’Orléans, la région de Québec, des deux côtés du fleuve, est un lieu où l’anguille a longtemps abondé. Lorsque Champlain fonda Québec, l’anguille était si importante dans l’alimentation et le commerce de l’époque qu’elle servait même de monnaie d’échange. On payait les autres denrées avec de l’anguille car on savait qu’on trouverait toujours preneur. L’anguille était donc ramassée, chaque automne, dans des pêches que les fermiers étendaient devant chez eux. On allait ramasser les anguilles lorsque la marée baissait. Et on les mettait dans des barils, en alternance avec du gros sel après les avoir pelés et vidées. Chaque famille avait son baril d’anguille pour passer l’hiver. On faisait la même chose avec le saumon et l’esturgeon. Cette habitude a perduré dans la plaine du Saint-Laurent et même dans les régions périphériques jusqu’à la 2 e Guerre mondiale. Plusieurs ainés m’ont raconté comment ils apprêtaient l’anguille ; je vous livrerai des recettes de ce poisson patrimonial, au cours des ans. En plus de la saler, on la fumait aussi. L’anguille fumée, extrêmement populaire chez les Autochtones, devint une friandise appréciée chez les colons franco-québécois et les écosso-québécois. Malheureusement, les travaux sur le fleuve dans la région de Québec ont contribué à diminuer la quantité légendaire d’anguilles dans la région. Le poisson est aussi devenu symbole de la pauvreté pour plusieurs québécois de sorte qu’on a fini par le laisser tomber comme plusieurs autres aliments patrimoniaux, d’ailleurs. Il serait temps qu’on le redécouvre, spécialement sous sa forme fumée, en entrée.