Le monde des liqueurs fortes

Les liqueurs sont des boissons sucrées aromatiques. Au Québec, on parle traditionnellement de liqueurs fortes et de liqueurs douces depuis les grandes campagnes contre l'alcoolisme venues des États-Unis, au début du XXe siècle. Les deux sont des boissons aromatisées par des fruits, des noix, des herbes ou des aliments aromatiques comme le cacao, le café ou l'érable, mais se distinguent par la présence d'alcool dans les liqueurs fortes. On parle aussi de crèmes alcoolisées comme la crème de menthe ou la crème de cassis. Ce qui distingue une liqueur d'une crème est le taux de sucre et d'alcool; les crèmes sont plus sucrées que les liqueurs, mais moins alcoolisées. La crème de cassis, par exemple, contient au moins 400 g de sucre par litre. Une liqueur qui aurait un taux de sucre supérieur à 250 g par litre deviendrait une crème; le taux de sucre habituel d'une liqueur se situe donc entre 100 et 200 g par litre. Si son taux est moins que 100 g le litre, on l'appelle plutôt une eau-de-vie. Plusieurs techniques sont utilisées pour faire des liqueurs fortes, dont la macérartion et l'infusion d'aliments aromatiques dans un alcool éthylique d'origine agricole. On peut aussi faire la distillation de vins fait avec ces mêmes aliments auxquels on ajoute un peu de sucre après la distillation.

Les premières liqueurs datent du Moyen Âge. Elles sont nées dans les monastères français, à des fins médicinales. Arnaud de Villeneuve, le recteur de la faculté de médecine de Montpellier, par exemple, concoctait des vins à base de chou rouge et d'ortie pour soigner les plaies. La distillation de ces vins est venue par la suite avec la familiarisation de l'alambic d'origine arabe. En Italie, ce sont les Jésuites de Vérone qui créèrent la première liqueur que Catherine de Médicis introduisit en France, lors de son mariage avec le roi de France, Henri II, au XVIe siècle. La coutume de prendre une liqueur à la fin du repas est née, à Versailles, au XVIIe siècle. À cette époque, la liqueur baptisée Rossolis, entre autres, était populaire à Paris comme à Québec, en Nouvelle-France. Cette liqueur était composée, entres autres, de pétales de roses, qu'on associait faussement au mot Rossolis. C'est au début du XVIIIe siècle que Barthélémy Rocher créa le fameux Cherry Brandy en ajoutant des cerises et du sucre au brandy, donc un aromate fruité à un alcool tiré d'un vin. En 1775, les monastères français créèrent plusieurs liqueurs qui demeurent encore populaires dans la francophonie et le monde des alcools contemporains. Je pense, entre autres, à la Chartreuse et à la Bénédictine, à l'Eau de mélisse des Carmes ou à la Trapppistine des Trappistes. Ces liqueurs herbeuses étaient considérées comme des élixirs de longue vie, bonnes pour le coeur. C'est d'ailleurs à cette époque qu'on leur donna le nom de "cordial".

Les liqueurs contemporaines viennent du monde. Les monastères les font toujours avec des plantes (verveine, fleur de tilleul, menthe, violette, jasmin, rose) ou avec des fruits, des baies ou des noyaux (orange, cerise, banane, fraise, abricot, groseille, cassis, genièvre, airelle, etc.). Les paysans qui travaillaient dans ces monastères se sont mis à en faire, de leur côté, de sorte qu'en France, on trouve beaucoup de liqueurs paysannes, fait maison. Se sont ajoutées, au XXe siècle, des liqueurs de fabrication industrielle à base d'écorces et de racines (orange (citron, mandarine, gentiane). Au Québec, on a créé des liqueurs de chicouté, de bleuet, de petites fraises, d'érable, etc.

Les années 2000 ont vu plusieurs liqueurs québécoises envahir ce marché des digestifs et des cocktails.

Je pense, premièrement à la Balzac de Louiseville en Mauricie, liqueur d'absinthe à 70% aux arômes d'anis étoilé, d'écorces de pamplemousse rose et d'orange, avec du houblon, du fenouil, de l'aneth, du basilic et du thé des bois; deuxièmement, au Georges Étienne de Saint-Joseph-du-Lac dans les Basses-Laurentides, au goût de pommes caramélisées; troisièmement au Breakfast Gin Bergamote de Montréal au goût de bergamote, fleur d'oranger, citronnelle, genièvre, agrumes, coriandre, thé Earl Grey et cannelle; enfin au Circa de Montréal qui sent les aiguilles et les cocottes de pin, le myrique baumier, l"épilobe, la canneberge, le sureau, la cardamome, la bergamote et la lavande.

Je vous donne, cette semaine, une série de recettes de chez nous qui utilisent des liqueurs fortes connues pour les aromatiser. On peut éviedmment aussi créer plein de cocktails avec les nouvelles liqueurs québécoises.

Et je vous souhaite cordialement de bonnes dégustations!

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec