La cuisine de la Basse Côte-Nord

Cette région est l’une des plus anciennes du Québec puisqu’elle fut la première à voir fondre le glacier continental et l’une des premières à voir apparaitre des êtres humains sur ses terres. Voyons d’abord ses 4 garde-manger puis les 7 ethnies qui ont inventé sa cuisine.

Ses garde-manger :

1. La Mer : Le plus important dans l’histoire

28 poissons de mer dont les plus populairement cuisinés sont, par ordre de quantité de recettes,  la morue fraiche, le saumon frais, la morue salée, le flétan atlantique, le hareng, le thon, la sardine et l’aiglefin.

13 fruits de mer dont les plus cuisinés sont le homard, le crabe, les pétoncles, les crevettes, les palourdes et les moules.

4 mammifères marins dont le loup-marin et le marsoin ont généré le plus de recettes.

14 oiseaux maritimes avec l’eider appelé le moyac en tête et l’outarde.

9 plantes maritimes avec l’algue main de mer, en priorité.

2. La forêt :

Poissons d’eau douce et écrevisses  avec en priorité, la truite mouchetée, le touladi, la ouananiche, la truite rouge, le brochet et le corégone.

3 gros gibiers  dont l’orignal, le caribou et le chevreuil de l’île d’Anticosti que plusieurs chasseurs locaux vont se chercher, chaque année.

7 petits gibiers dont les plus cuisinés sont la perdrix (gélinotte huppée et tétras des Savanes), le lièvre, la perdrix blanche ou ptarmigan et le castor.

6 petits fruits sauvages : dont les plus cuisinés sont les graines rouges (airelles vigne d’Ida), les bleuets, les chicoutés, les camarines et les pimbinas.

3. La ferme de subsistance :

Viandes domestiques : Le porc, le lard salé, le bœuf, le bœuf salé sont les viandes les plus cuisinées suivis du poulet et de la dinde.

Légumes de jardin : la pomme de terre, les carottes, le chou, le céleri, le poireau, avec le persil, la sarriette reviennent souvent en cuisine. La rhubarbe fait partie historiquement du jardin familial. Il faut ajouter les tomates en conserve, et depuis 50 ans, les poivrons verts et les champignons importés.

4. Le magasin général et les peddlers fournissent les aliments les plus importés de Terre-Neuve ou du Québec; ce  sont les raisins secs, le vinaigre, le fromage cheddar, les légumineuses (pois secs et haricots secs), les soupes en conserve, la mélasse, le sucre et la cassonade, la poudre de cari, les ananas, les macaronis et le riz.

 

Ses ethnies fondatrices :

1. Les Archaïques maritimes

Il y a 8,400 ans, des gens vivaient en Basse-Côte-Nord. Les Archéologues les ont baptisés les Archaïques maritimes parce que toute leur culture et leur alimentation dépendaient fondamentalement de la mer. Plus de 1 300 sites archaïques ont été répertoriés par eux sur la Côte-Nord. On peut visiter le Centre Archéo-Topo, à Bergeronnes, et le Musée régional de la Côte-Nord, à Baie-Comeau, pour en savoir plus sur les premiers habitants de la région. Le poisson de mer et des estuaires des rivières, les coquillages, les mammifères marins, les canards de mer, les œufs d’oiseaux de mer, les plantes comestibles qui poussaient sur les grèves ou les petits fruits sauvages constituaient l’essentiel de leur menu. Il y a 4000 ans, ces gens migraient en amont du fleuve pour se fondre avec les Archaïques laurentiens établis jusqu’en Haute-Côte-Nord.

2. Les Dorsétiens, les Inuits et les Archaïques du Boucler canadien.

Ils furent remplacés par les Dorsétiens et les Archaïques du Bouclier Canadien. Les Dorsétiens étaient installés au Nunavik et sur toute la Côte du Labrador. Les Archaïques du Boucler canadien vivaient loin dans les terres, en hiver, et descendaient vers la mer, en été, pour y faire de grandes provisions de poisson qu’ils séchaient et fumaient. Les deux ethnies étaient en conflit sporadique parce qu’ils aimaient, toutes les deux, le fameux caribou et le saumon. Il y a 2 000 ans, les Algonquiens originaires de la région ontarienne située entre le lac Ontario et la Baie Georgienne, atteignaient la Basse Côte-Nord et imposaient leur culture et leur langue aux Archaïques du Bouclier canadien. Certains pensent que l’assimilation fut facile à cause de multiples points culturels communs. Il y a 1 000 ans, lorsque les Vikings débarquèrent à Terre-Neuve et à Blanc Sablon, les Dorsétiens étaient toujours présents en Basse-Côte-Nord. Ces derniers disparurent de la région au XI e siècle, remplacés par les ancêtres des Inuits actuels dont plusieurs des voyageurs français ont confirmé la présence en Basse-Côte-Nord, jusqu’en 1850, environ.

3. Les Oumamiouèques ou Montagnais.

Mais les nouveaux principaux occupants de la région étaient les Oumamiouèques de langue algonquienne. Ce sont eux que les Basques, grands chasseurs de baleine, ont rencontrés à l’est de Blanc-Sablon, au XVIe siècle. Les échanges ont été cordiaux assez pour que les autochtones participent au travail de fonte du gras des baleines, qu’ils apprennent à faire de la bannique d’eux, qu’ils échangent des casseroles, des fourrures, des couvertures, des bijoux, etc., tel que consigné dans les archives basques (cf. Lope de Iasti). Les Basques furent suivis de pêcheurs bretons et normands, puis de pêcheurs portugais, anglais et espagnols. Tous ces gens débarquaient sur les longues plages de la Côte pour faire sécher leur morue salée. Ainsi, on peut dire que la cuisine des Oumamiouèques a commencé à s’européaniser, dès le XVIe siècle, avant l’installation des Français, dans la Plaine du Saint-Laurent.

4. Les Français et les Acadiens

Ils établirent les premiers postes de traite temporaires à Brador, en 1661, en Basse-Côte-Nord. En 1714, le français Courtemanche y construisait le premier poste de traite de la région qu’il appela le Fort Pontchartrain. La femme de Courtemanche a laissé de nombreux détails sur la cuisine qu’on pouvait y faire, en 1715. Mais les pêcheurs français y débarquaient depuis longtemps puisque Jacques Cartier, lui-même breton raconte qu’il s’est arrêté dans le port de Brest (Canada), en 1534, et qu’un prêtre y a célébré la messe. Il en profitait pour faire des provisions d’eau et de bois pour poursuivre son voyage. Cet endroit correspondrait, selon la tradition orale, à l'endroit appelé Vieux-Fort (Old-Port), aujourd'hui.  Courtemanche ouvrit un autre poste de traite à Saint-Augustin (Pakuashipi), en 1720. Les postes de traite nourrissaient les 1200 pêcheurs qui débarquaient sur la côte, chaque année. La nourriture achetée sur place correspondait à environ 25% de leur alimentation. Plusieurs postes,  comme celui d’Etamamiou-Nantagamiou, faisaient la chasse au phoque qui était aussi un aliment important de la Côte. Mais il faudra attendre le milieu du XIX siècle pour voir s’installer en permanence des pêcheurs français ou franco-québécois. Il a fallu attendre que le Gouvernement canadien enlève le monopole d’occupation des terres gérées par les compagnies de traite des fourrures avant de permette l’installation des familles de pêcheurs sur la Côte pour éliminer plusieurs problèmes de partage des plages, entre les pêcheurs. Désormais, il faudrait s’installer sur la côte pour pouvoir se servir de la plage au devant de sa maison. Les endroits où les francophones se sont installés sont Kegaska en 1820 (Lessard), Rivière-Etatamiu en 1821 (Michel Blais), Lac-Salé en 1828 (Charles Bilodeau). Entre 1840 et 1860, des Franco-Québécois originaires de Québec, de Beauport, de Château-Richer, de Lévis, de Saint-Michel de Bellechasse, de Montmagny et de Berthier-sur-mer allaient s’installer un peu partout en Basse Côte-Nord, comme pêcheurs de saumon et de morue. Le poisson était vendu à des marchands d’origine jersiaise, comme en Gaspésie, établis à Forteau (est de Blanc-Sablon) et à l’ile à Bois, à l’ouest. Les Français se sont beaucoup anglicisés, en Basse-Côte-Nord, de sorte qu’on ne parle français, aujourd’hui, qu’à La Romaine, Saint-Augustin et Tête-à-la-Baleine. Les Acadiens sont venus de la Gaspésie et des iles de la Madeleine. Ils sont aujourd’hui mêlés à la population d’origine terre-neuvienne de Lourdes-de-Blanc-Sablon.

5. Les Britanniques et les Jersiais.

Ce sont surtout des Écossais qui ont remplacé les Français, dans les Postes de traite, après la Conquête de 1760. Ils ajoutèrent 2 postes, Rivière-Saint-Paul en 1771 et l’Ile-à-Bois en 1784. Le poisson et l’huile de phoque étaient désormais expédiés à Londres. En 1812, lorsque les Anglais ont décidé de bloquer la route aux pêcheurs français à cause de la guerre menée par Napoléon contre l’Angleterre, les pêcheurs terre-neuviens en ont profité pour venir s’installer en Basse-Côte-Nord. Ils étaient d'origine anglaise, écossaise, galloise et irlandaise. Ils ont fondé Harrington-Harbour où a été tourné le film La Grande séduction. Puis, ils se sont installés à travers les francophones sur place à Rivière-Saint-Paul, Saint-Augustin, La Tabatière, Mutton-Bay, Bonne-Espérance, Lourdes-de-Blanc-Sablon et Blanc-Sablon. Les gens d’origine terre-neuvienne sont nettement majoritaires, aujourd’hui, en Basse-Côte-Nord. C’est pourquoi la langue d’usage est plus l’anglais que le français. Les Jersiais, quant à eux, étaient peu nombreux mais très influents parce qu'ils contrôlaient le commerce du poisson. D'origine anglo-normande, ils parlaient un patois facilement compréhensible par les Franco-Québécois et les Acadiens.

Conclusion : Aujourd’hui, la cuisine de la Basse-Côte-Nord a une forte empreinte terre-neuvienne.  Les aliments traditionnels préférés sont le lard et le bœuf salés, la mélasse, la morue  et la morue salée, le saumon, les légumineuses comme les pois et les gourganes, les légumes verts en feuilles comme les pissenlits, les bettes à carde et les épinards. Les biscuits-matelots étaient encore très présents, il y a une vingtaine d’années. Les fruits de mer sont aujourd’hui consommés, les jours de fête. Les coques, les palourdes et les squids (calmars) sont réservés à la cuisine de la semaine. Le gibier facile d’accès est encore très présent, en hiver. On fait entre autres, des poudings de gibier avec du petit gibier bouilli mélangé à du pain, des aromates et des œufs. La nouvelle cuisine nord-côtière aime le curry, les ananas et les poivrons, comme à Terre-Neuve.

Je vous invite à consulter mon 2 e volume consacré à l'Histoire de la cuisine familiale du Québec, La mer,ses régions et ses produits de la page 38 à 72, pour plus de détails. Vous y trouverez aussi la liste de 296 recettes de la région.